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5 août 2014

Halo : Waypoint - Créations conservés - Fanfictions - Le Jour se Lève




CHAPITRE UN - Ne Jamais Oublier...

05:32 heures, 7 juillet 2527 (Calendrier militaire) / système Dzêta Heptanus, planète Dordera Prime, ville d’Isaura.


Les vaisseaux Covenants tournoyaient haut dans le ciel, et le fracas des salves de plasma ébranlait la montagne.

Semblable à un dieu énigmatique, indifférent à la chute du moineau ou à celle du missile, il était assis au fond du sanctuaire blindé. Il n’avait nul besoin de sortir de son abri pour contempler la cité en contrebas.

Il savait ce qu’il se passait… il le savait depuis que, la veille au soir, la télévision avait clignoté et s’était évanouie. Un annonceur, vêtu du saint costume blanc des arts guérisseurs, était en train d’exposer un important message concernant le somnifère le plus populaire du monde – celui que préféraient la plupart des gens, celui que quatre docteurs sur cinq utilisaient eux-mêmes. Au beau milieu de ses louanges à l’égard de cette nouvelle et stupéfiante découverte médicale, il s’était arrêté et avait demandé au public de rester à l’écoute, dans l’attente d’un bulletin spécial.

Mais le bulletin ne vînt jamais ; en lieu et place, l’écran s’éteignit et le tonnerre éclata.

Toute la nuit la montagne trembla, et l’homme assit trembla aussi. Les vaisseaux extraterrestres crachaient leur plasma infernal à l’extérieur, couvrant le bruit des batailles au sol et les cris d’horreur de la population fuyant face aux monstres, protégée par des soldats du CSNU complètement dépassés par la puissance de frappe ennemie. Il s’y était attendu, évidemment, et c’était pourquoi il était là. Les autres en avaient parlé ces deux dernières années, depuis la découverte des Covenants en fait. Il y avait eu des rumeurs irraisonnées, des avertissements solennels, quantités de bavardages chuchotés dans les bistrots comme quoi les Covenants anéantissaient les planètes les unes après les autres avec une efficacité redoutable. Et qu’un jour, ce serait fatalement le tour de Dordera Prime. Mais les lanceurs de rumeurs, les lanceurs d’avertissements et de chuchotements de bistrots n’avaient pas bougé. Ils étaient restés dans la ville, et lui seul avait fui.

Certains, il le savait, étaient restés pour affronter de leur mieux l’inévitable fin, et ceux-ci, il les saluait pour leur courage. D’autres avaient tenté d’ignorer l’avenir, et ceux-là, il les haïssait pour leur aveuglement. Et tous, il les plaignait.

Car, depuis longtemps, il avait compris que le courage ne suffisait pas, et que l’ignorance volontaire n’était pas le salut. Les paroles avisées ou sages sont semblables : elles n’arrêteront pas la tempête. Et quand approche la tempête, il est préférable de s’enfuir.

Aussi s’était-il préparé cette retraite de montagne, surplombant la ville, et où il ne risquait rien ; il y serait en sécurité pendant des années encore. D’autres gens d’égale fortune auraient pu faire de même, mais ils étaient trop sages ou trop fous pour faire face à la réalité. Donc, pendant qu’ils répandaient leurs rumeurs, trompetaient leurs avertissements et marmonnaient dans leurs verres, il bâtissait son sanctuaire ; « matelassé » de plomb, amplement approvisionné, ayant de quoi subvenir à tous les besoins pour de nombreuses années… y compris une copieuse quantité du somnifère le plus célèbre au monde.

Bien qu’allongeait sur son lit, il n’arrivait pas à dormir. Le bruit incessant de l’attaque Covenant lui bourdonnait dans les oreilles, et cela commençait à lui taper sur les nerfs. Mais il ne pouvait pas faire autrement, et plus le martèlement s’intensifiait, plus son cerveau se comprimait. Si ce vacarme continuait, il finirait par devenir fou. Il s’attendait à ce que son sanctuaire blindé tremble sous l’attaque, mais ce ne fut pas le cas, étrangement. Rien qu’au bruit assourdi par la roche, on pouvait imaginer la férocité de l’attaque, et il y avait de quoi mourir de peur. Ses tripes se contractèrent, lui infligeant une douleur abdominale terrible dont il ne pouvait se détacher. Il avait hâte que tout cela prenne fin. Mais il se disait que ce jour ne viendrait jamais, ou qu’il ne vivrait pas assez longtemps pour le voir.

Il se tournait dans tous les sens, ne trouvant pas de position qu’il jugeait confortable dans une telle situation. Jamais il ne pourrait dormir tranquillement se dit-il, tous les soirs l’effroyable bourdonnement lui envahirait les tympans. Jamais il ne pourrait l’oublier.

CHAPITRE DEUX - Un Cimetière de métal...

06:59 heures, 7 juillet 2527 (Calendrier militaire) / système Dzêta Heptanus, planète Dordera Prime, ville d’Isaura.


L’aube vint enfin, les échos du tonnerre moururent et il gagna un emplacement spécial, blindé, d’où il pouvait braquer ses jumelles électroniques sur la cité. Il eut beau écarquiller les yeux ou froncer les sourcils, il n’y avait rien à voir – que des nuages noirs qui s’élevaient en tourbillonnant, puis rougissaient en s’étalant jusqu’à l’horizon invisible. Plus aucune structure métallique n’encombrait le ciel de sa brillance hypnotisante.

Alors il sut qu’il devait descendre jusqu’à la ville s’il voulait savoir, et il se prépara en conséquence. En fouillant dans les affaires qu’il avait précipitamment jetées sur le sol lors de son arrivée, il trouva ce qu’il cherchait. Une armure de marines qui appartenait à son frère disparu ou mort au combat - à présent cela n’avait aucune importance - sur la lointaine colonie Harvest. Tous deux étaient de taille et de corpulence équivalente ; il n’eut donc aucun problème à enfiler la cuirasse et le casque semblait avoir été fait pour lui. Il se dit alors qu’il devait avoir fière allure dans ce truc inconfortable. Dommage qu’il n’ait pas de glace ou de miroir sous la main pour s’admirer, et encore moins de jolies filles pour le regard du coin de l’œil lorsqu’il passerait dans les rues d’Isaura.

Un ascenseur rapide l’amena à la base de la montagne. Un warthog l’attendait - il l’avait récupéré alors qu’il s’enfuyait seul vers la montagne le soir d’avant ; l’engin semblait avoir été abandonné. Les portes blindées se refermèrent automatiquement derrière lui ; il prit la route de la ville.

Par la visière de son casque isolant, il voyait un brouillard blanchâtre et, bien qu’il n’y eût aucune circulation, aucun signe de vie, il conduisit lentement.

Au bout d’un moment le brouillard se dissipa, et il put contempler le paysage. Des arbres et de l’herbe blanchis, se découpant sur un ciel jaune dans lequel se tordaient d’immenses nuages. Van Gogh, se dit-il, tout en sachant que c’était un mensonge. Car ce n’était pas une main d’artiste qui avait fracassé les fenêtres des fermes, pelé la peinture sur le flanc des granges, étouffé le souffle chaud du bétail groupé dans des champs et raidi par la peur puis par la mort.

Il conduisit le long de la large artère menant à Isaura ; une artère qui d’ordinaire fourmillait de véhicules multicolores. Mais aucune autre automobile ne circulait plus dans cette artère.

Il ne les vit qu’en approchant des faubourgs ; ayant dépassé le virage, il tomba sur l’avant-garde – alors la panique le saisit et il s’arrêta net sur le bord d’un fossé : devant lui, la route était couverte d’automobiles à perte de vue… Masse solide, pare-chocs contre pare-chocs, comme prête à l’écraser sous ses roues en mouvements.

Mais les roues ne tournaient pas.

Les véhicules étaient morts. L’autoroute était un cimetière d’autos. Il s’approcha à pied, passant avec respect près des cadavres. De près il put constater l’évidence de fins violentes : le verre fracassé, les pare-chocs enfoncés et les capots bosselés, des carcasses de ferrailles encore fumantes. Il observa de nombreux signes de luttes impitoyables ; ici une minuscule voiture, coincée et écrasée entre deux énormes camions ; là une berline qui avait péri sous les roues d’un warthog. Mais maintenant toutes étaient inertes.

Il avait du mal à imaginer avec une lucidité identique la tragédie qui avait touché les gens de l’intérieur de ces autos. Ils étaient morts aussi, bien sûr, mais leur trépas semblait insignifiant. Peut-être sa pensée avait-elle été affectée par l’attitude de l’époque, devant laquelle l’homme tendait de moins en moins à être identifié comme individu, et de plus en plus à être considéré selon le statut symbolique de la voiture qu’il possédait. Lorsqu’un inconnu conduisait dans la rue, on pensait rarement à lui en tant que personne ; la réaction était immédiate : « Voilà une Ford – voilà une Pontiac – voilà une de ses grosses Imperial. » et les hommes se vantaient de leurs voitures plutôt que de leurs caractères. Ainsi la mort des automobiles paraissait-elle plus importante que celle de leurs propriétaires. Il ne semblait pas que des être humains eussent péri dans cette ruée pour s’échapper de la cité ; c’étaient les voitures qui, prises de panique, avaient foncé vers la liberté, et n’y avaient pas réussi.

Il quitta la route et continua le long du fossé ; il atteignit les premiers trottoirs des faubourgs. Les preuves de destructions s’accentuaient. Explosions et implosions avaient fait leur œuvre. Dans la campagne, la peinture avait été arrachée des murs ; mais dans les faubourgs, les murs avaient été arrachés des bâtiments. Toutes les maisons n’étaient pas rasées. Il restait nombre de bungalows debout ; mais nul signe de leurs propriétaires. Dans certaines des pittoresques maisons blanches modernes, avec leurs lignes légères et leurs lourdes hypothèques, les parois latérales en verre étaient étrangement intactes ; mais à l’intérieur, nul signe de l’active et joyeuse vie banlieusarde ; les postes de télévision étaient morts.

La couche de débris augmentait, empêchant de plus en plus sa progression. Apparemment, une explosion avait balayé le quartier ; la voie était jonchée des débris variés d’Isaura.

CHAPITRE TROIS - De Ruines et de Morts...

07:24 heures, 7 juillet 2527 (Calendrier militaire) / système Dzêta Heptanus, planète Dordera Prime, ville d’Isaura.


Il se fraya un chemin à travers des boîtes de mouchoirs en papier, des têtes réduites artificielles qui un jour s’étaient balancées à la fenêtre arrière de voitures, des listes d’achats froissées et des rendez-vous de psychiatres griffonnés.

Il marcha sur une casquette, faillit buter sur un grill tordu, se prit les pieds dans des bretelles de faux seins en caoutchouc. Les entrées d’égouts étaient bouchées par les décombres d’un drugstore détruit ; épingle à cheveux, chaussettes de nylon, un tas de livres de poche, un plein carton de tranquillisants, une masse de lotions, suppositoires et désodorisants, et une grande photo découpée de Harry De Grave - un acteur avec le vent en poupe, comme on dit, sur laquelle était tombée une tasse de chocolat bouillant.

Il continua, à travers un fatras de rasoirs électriques pour dames, de sélections du Club du Livre du Mois, de disque de Charles Maverick - un grand chanteur, selon certain, de fausses dents et de traités sur l’existentialisme. Maintenant il approchait vraiment de la cité proprement dite. Les signes de la dévastation se multipliaient. Passant péniblement près du site de l’université, il remarqua, avec un sursaut d’horreur, que le gigantesque stade de rugby n’existait plus. Niché non loin de là, se trouvait le grand bâtiment des Beaux-Arts, et il crut d’abord que cet édifice aussi avait été rasé. Mais, regardant de plus près - à travers la fumée en fait, il s’aperçut que les Beaux-Arts n’avaient pas été touchés, sinon des marques de décrépitude et de négligence naturelles.

A présent, il avait du mal à suivre un trajet régulier, car les rues étaient encombrées de véhicules détruits, et les trottoirs souvent barrés par des poutres ou des façades entières d’immeubles écroulés. Des structures avaient été complètement écartelées ; il y avait d’affreuses variations : ici un toit s’était effondré, là une pièce montrait son contenu. Apparemment, l’attaque en elle-même était survenue instantanément, et sans avertissement bien sûr, car il y avait bons nombres de corps dans les rues, tous humains on pouvait dire, car le nombre de Covenants tombés au combat se comptait sur les doigts de la main.

Là, dans un sous-sol encombré, un gros homme effondré sur son établi de bricoleur, regardant sans le voir le célèbre calendrier qui exhibait entièrement les charmes de Marilyna Moki. Deux étages au-dessus, à travers l’huisserie brisée d’une fenêtre de salle de bain, sa femme, morte dans la baignoire, tenant encore une revue cinématographique avec le portrait de Richard Hudson en couverture. Et tout en haut, dans le grenier ouvert au ciel, deux jeunes amants étendus sur un lit de cuivre, nus, figés dans l’extase de leur dernière étreinte.

Il se détourna et, continuant sa progression, évita volontairement d’examiner les corps. Mais il ne put éviter de les voir ; avec l’accoutumance, sa répugnance se transforma en dégoût. Lequel enfin fit place à la curiosité.

Passant près d’une cours d’école, il fut horrifié de voir que la fin était venue avec violence. La plupart des silhouettes étaient immobiles, sur un sol gelé par la mort, plus ou moins en un seul morceau ; constat non pas d’une guerre, mais d’un massacre impitoyable. Là, un grand garçon tenant probablement dans ses bras une petite sœur, tous deux appuyés contre une palissade, à l’endroit même où les avait trouvé l’explosion ; un groupe de six jeunes en blousons de cuir noir uniformes, entassés sur le corps d’un enfant porteur d’un blouson blanc. Le rouge du sang immaculé n’avait pas encore une teinte prononcée en cette heure matinale. Tout semblait gris et terne, sans saveur ni odeur, sans rien ni personne.

Au-delà du terrain de récréation s’élevait le centre de la ville. Vu à distance, les amas de maçonnerie bouleversée évoquaient un jardin fantastique retourné par un laboureur en folie. Çà et là, dans les interstices des énormes entassements, s’élevaient de petites langues de flammes. Par endroit, émergeaient comme des tiges les étages inférieurs des gratte-ciel, dont le sommet avait été tranché par le passage d’un flux de plasma.

Il hésita, se demandant s’il serait possible de pénétrer dans ce bizarre amoncellement. Puis il aperçut la colline, plus loin, et l’imposante structure qui était le Bâtiment Fédéral. Miraculeusement respecté par l’explosion, celui-ci était toujours debout et, dans le brouillard, il pouvait voir le drapeau colonial de l’UNSC qui flottait encore sur le toit. Il devait y avoir de la vie là-bas, et il sut qu’il ne serait pas satisfait avant de l’avoir rejointe.

Mais longtemps avant d’avoir atteint son objectif, il trouva d’autres preuves que la vie continuait. Tout en se déplaçant délicatement et prudemment parmi les débris, il finit pas apercevoir qu’il n’était pas totalement seul dans le chaos.

Partout où crépitaient les flammes, s’agitaient des formes furtives silhouettées devant le feu. Avec horreur, il constata qu’elles entretenaient les incendies ; elles brûlaient les barricades qui ne pouvaient être détruites autrement, afin d’entrer dans les boutiques et les magasins à piller. Certains des malfaiteurs étaient silencieux et honteux, les autres bruyants et soûls ; tous étaient condamnés.

Il le savait, et c’est ce qui l’empêcha de s’interposer. Ils pouvaient piller et fracturer à volonté, ils pouvaient se disputer quelque part le butin : dans quelques heures ou dans quelques jours, les radiations auraient fait leur inévitable ravages si les secours ne venaient pas. Et plus le temps passait, plus cette idée lui semblait probable et insignifiante. A quoi bon partir pour une autre colonie, les Covenants arriveraient tôt ou tard, et les chevaliers de l’apocalypse s’abattront de nouveau sur eux. Rien ni personne ne pouvaient les arrêter, et ils n’avait aucun endroit où fuir.



CHAPITRE QUATRE - Particules de Vies...

08:03 heures, 7 juillet 2527 (Calendrier militaire) / système Dzêta Heptanus, planète Dordera Prime, ville d’Isaura.


Personne ne s’opposa à son passage ; peut-être l’armure noire et imposante de marine y était pour quelque chose. Cela valait mieux, se dit-il, plutôt que tout le monde fonde sur lui en lui demandant de l’aide et que, dans la confusion, quelqu’un soit blessé ou pire encore. Il poursuivit sans encombre son chemin et voici ce qu’il vit :

Un homme, pieds nus, affublé d’un manteau déchiré, fracassant la porte d’un bar et passant les bouteilles à quatre petits enfants qui faisaient la chaîne…

Une vieille femme, debout dans la chambre forte éventrée d’une banque, poussant des piles de billets dans la rue avec son balai. Dans un coin gisait le corps d’un homme aux cheveux blancs, les bras écartés dans un futile effort pour embrasser un monceau de pièces. Impatiente, la femme le poussa avec son balai. La tête de l’homme roula, et un billet jaillit de sa bouche entrouverte…

Un homme et une femme, arborant le brassard des Médecins Coloniaux, qui amenaient une civière jusqu’à l’entrée bloquée d’une église partiellement rasée. Ne pouvant entrer, ils portèrent la civière sur le côté de l’édifice, et l’homme défonça à coup de pied un des vitraux…

Dans un sous-sol, un studio d’artiste ouvert en plein ciel ; ses murs étaient encore intacts et couverts de toiles abstraites. Au centre de la pièce se dressait le chevalet, mais l’artiste avait disparu. Ce qui restait de lui était étalé en une masse dégoulinante sur le tableau, comme si l’artiste avait finalement réussi à mettre quelque chose de lui-même dans sa peinture…

Un amoncellement de verre brisé qui avait été un laboratoire de chimie et, au centre, une silhouette recroquevillée sur un microscope. Sur la lame se trouvait une cellule unique que le savant observait attentivement lorsque le monde s’était écroulé autour de lui…

Une femme avec le visage d’un mannequin, étalée dans la rue. Apparemment, elle avait été frappée alors qu’elle se rendait au travail, car sa petite main aristocratique tenait toujours la courroie de son carton à chapeau. Par quelque hasard, l’explosion l’avait complètement déshabillée ; ainsi étendue, elle montrait tous ses charmes coûteux…

Un type maigre émergeant d’une boutique de prêteur sur gages, porteur d’un énorme tuba. Il disparut momentanément dans la charcuterie voisine et, lorsqu’il revint, le pavillon de son tuba était bourré de saucisse…

Un studio d’émissions publiques de radio, complètement démoli ; la scène autrefois immaculée était couverte de cartouches écrasées d’arme à feu. Emergeant du fatras, la tête du présentateur télé regardait fixement une cabine insonorisée, laquelle servait à présent de cercueil à un garçonnet de neuf ans, qui avait su la moyenne annuelle des points marqués depuis 2518 par toutes les équipes des principales fédérations de base-ball de Dordera Prime…

Une femme aux yeux égarés assise dans la rue, pleurant et gémissant sur un chaton qu’elle berçait dans ses bras…

Un courtier à son bureau, dont le corps était momifié dans des rouleaux de bandes de télétype…

Un autobus, écrasé contre un mur de brique ; ses passagers encombraient encore le couloir ; ils se tenaient toujours aux poignées du plafond, jusque dans la raideur cadavérique…

L’arrière-train d’un lion de pierre derrière lequel s’était autrefois élevée la Bibliothèque ; devant, sur les marches, le cadavre d’une femme d’âge mûr dont le cabas avait vomi son contenu sur la chaussée : deux romans policiers, un exemplaire des Souvenirs de l’Enfers et le dernier numéro du Sceam’s Door…

Un petit garçon coiffé d’un chapeau de cow-boy, qui pointait un pistolet à amorces sur sa petite sœur en criant : « Pan ! T’es morte ! » Elle l’était.

A présent, il marchait lentement, gêné par des obstacles à la fois matériels et spirituels. Il approchait du bâtiment sur la colline par une voie tortueuse ; il se contraignit à éviter la répugnance, à surmonter toute curiosité morbide, à refouler sa pitié, à oublier son horreur.

Il savait qu’autour de lui, dans le noyau de la cité, se trouvaient d’autres êtres, certains accomplissant des actes de pitié, d’autres portant héroïquement secours. Mais il les ignora tous, car ils étaient morts à ses yeux. Quelques-uns d’entre eux le hélèrent, mais il poursuivit son chemin sans les écouter, sachant que les paroles n’étaient que des râles de mourants.

Mais subitement, alors qu’il gravissait la colline, il se retrouva en train de pleurer. Les larmes chaudes et salées couraient le long de ses joues et brouillaient l’intérieur de son casque, si bien qu’il ne voyait plus clairement. Et c’est ainsi qu’il émergea du cercle central ; le cercle central de la cité d’Isaura, le cercle central de l’enfer de Dante.

Ses larmes cessèrent de couler et sa vision s’éclaircit. Devant lui se dressait la fière silhouette du Bâtiment Fédéral, étincelant et intact – ou presque.



CHAPITRE CINQ - Face aux Feux du Monde...

08:49 heures, 7 juillet 2527 (Calendrier militaire) / système Dzêta Heptanus, planète Dordera Prime, ville d’Isaura.


Comme il arrivait près de l’imposant escalier en examinant la façade, il remarqua quelques signes d’avarie et de corrosion sur la surface de l’édifice. La terrible explosion n’avait infligé des dommages visibles qu’aux grandes statues surmontant le grand portail voûté ; les sculptures symboliques avaient été partiellement détruites ; toute la face antérieure s’était effondrée. Il cilla devant les contours évidés des trois figures ; jamais il n’avait réalisé que la Foi, l’Espérance et la Charité étaient creuses.

Puis il pénétra dans l’immeuble. Des soldats gisaient mort, comme s’ils gardaient le portail. L’un d’eux avait un trou à l’abdomen, et les chairs semblaient encore se consumer sous l’effet du plasma. L’autre avait reçu un tir en plein milieu de la visière, du sang coulait de son coup. En entrant, il faillit tomber en roulant sur les douilles qui recouvraient entièrement le sol.

A l’intérieur de l’édifice, deux ou trois gratte-papiers fourmillaient dans les corridors et dans les escaliers sans se préoccuper de ce qui les entourait. Il n’y avait plus d’ascenseur, évidemment : ils avaient cessé de fonctionner quand l’électricité avait été coupée. Mais il pouvait grimper.

Il voulut grimper tout de suite, car c’était pour cela qu’il était venu. Il désirait contempler la ville d’en haut. Dans sa combinaison noir et étouffante, il ressemblait à un automate, il gravit l’escalier avec raideur - comment les soldat faisaient-ils pour s’habituer à ce truc ! Il atteignit enfin le dernier étage.

Mais il n’y avait là aucune fenêtre ; rien que des bureaux entièrement clos. Il suivit jusqu’au bout un très long couloir. Il se trouva dans une vaste salle éclairée de lumière grisâtre par le mur de verre qui en formait le fond.

Il était donc possible de marcher jusqu’à la vaste baie et de regarder en contrebas. Il était possible de voir la ville, ou plutôt le cratère qui avait été la ville d’Isaura. A l’horizon la nuit partante se mêlait à la brume, mais il n’y avait pas d’obscurité. Les petits foyers d’incendie s’étaient étendus, apparemment, avec l’arrivée du vent, et maintenant il contemplait une marée de flammes grandissantes. Les clochers tordus et les édifices ravagés se noyaient dans les vagues pourpres. Tandis qu’il regardait, ses larmes revinrent, mais il savait qu’il n’y aurait jamais assez de larmes sur toutes les colonies pour éteindre les feux.

- Mon Dieu, c’est horrible, se dit-il.

- Oui, horrible.

Il se retourna, mais ne vit personne dans la pièce. Il longea une rangée de bureau sur lequel on trouvait un vrac des morceaux de papiers. C’étaient peut-être des cartes périmées, ou peut-être des traités caducs. Cela n’avait aucune importance dorénavant. Sur la paroi derrière le dernier bureau, il y avait une autre carte ; et celle-là avait une grande importance. Elle était couverte d’épingles rouges, et il lui fallut un moment pour déchiffrer leur signification : elles représentaient les destructions, car il y en avait une sur la ville d’Isaura. Il y en avait une pour Phylide, une pour Maurillia, Détroit VII, Laïkomaine, Handermaine – chaque centre important de la planète Dordera Prime avait été percé.

Et c’est là qu’il le vit, sur le côté, à moitié caché dans la pénombre matinale. C’était forcément un soldat, mais il n’en avait jamais vu de pareil. Il mesurait plus de deux mètres et portait une imposante armure vert brillant. La visière dorée du soldat reflétait son visage, où plutôt le casque noir qu’il portait. Il n’avait pas si fière allure que cela. Au contraire, il faisait un peu peur.

- Horrible, répéta le soldat à l’armure verte. Des millions et des millions de morts. Les villes détruites, l’air pollué, et aucun espoir d’en échapper. Aucun espoir, nul part au monde. Aucun espoir.

Il se détourna du soldat inconnu et regarda encore une fois par la fenêtre, contemplant l’enfer. Il songeait : « C’est donc ainsi que ça devait se passer… C’est donc ainsi que le monde meurt. » Il regarda de nouveau le soldat à la visière d’or, puis soupira :

« Dire que nous avons été battu, » chuchota-t-il.

Le mystérieux soldat releva lentement la tête, un éclat rouge flamme sembla envahir sa visière, et il dit :

« Que voulez-vous dire ? Nous avons gagné ! »


FIN.

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